Le droit du travail à l'épreuve des licenciements dits boursiers
Alors que le contexte économique actuel s’accompagne de l’annonce régulière de vastes plans sociaux, le débat sur la légitimité des licenciements dits « boursiers » s’est renforcé. Il s’agirait là de dénoncer des projets de licenciements collectifs dont le but exclusif ne serait pas de faire face à des difficultés économiques ou à des restructurations nécessaires à la sauvegarde de la compétitivité, mais d’accroître la rentabilité ou les profits d’une entreprise.
Les organisations syndicales, par le biais des institutions représentatives des salariés et notamment les Comités d’Entreprise, ont cherché le secours du droit du travail pour combattre ce qu’elles considéraient comme un abus du droit de licencier. Elles ont pensé pouvoir agir en annulation des plans de sauvegarde de l’emploi (anciennement appelés « plans sociaux ») que les entreprises employant plus de 50 salariés sont tenus de mettre en place lorsqu’elles envisagent la suppression de plus de 10 postes sur une période consécutive de 30 jours.
Le CE se voit en effet reconnaître le droit d’agir en annulation de tels plans de sauvegarde de l’emploi, sur le fondement de l’article L 1235-10 du Code du Travail, lorsque par exemple la consultation préalable des représentants des salariés n’a pas été suffisante ou régulière, ou encore lorsqu’il estime les mesures de reclassement insuffisantes au regard des moyens dont dispose l’entreprise. Et pour se forger une opinion et conforter ses contestations, le CE peut se faire assister par un expert comptable.
Le raisonnement était alors séduisant : « si l’existence d’une cause économique n’est pas établie (et si par exemple une expertise démontre que le projet vise bien davantage à réaliser des économies sans que la santé de l’entreprise ne soit menacée), toute la procédure de licenciement est atteinte de nullité parce qu’alors le plan de sauvegarde de l’emploi n’a pas de fondement ».
La Cour d’Appel de Paris s’était laissée convaincre par cette logique. Dans un arrêt rendu le 12 avril 2011 elle décide ainsi qu’en pareille situation, la procédure n’est pas nulle, mais privée d’effet, dès lors qu’il n’existe pas de réel motif économique à l’origine du plan de sauvegarde de l’emploi. Par une telle décision, le résultat est atteint : la procédure est entièrement stoppée et l’entreprise se voit empêchée de procéder à la suppression des emplois
qu’elle avait envisagée.
La Cour de Cassation n’a toutefois pas partagé cette analyse, qui manifestement ajoutait à la loi et donnait au juge un pouvoir excessif. Dans le désormais célèbre arrêt « Vivéo » rendu le 3 mai 2012, elle rappelle ainsi que « la procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique du licenciement, la validité du plan étant indépendante de la cause du licenciement ».
Autrement dit, la nullité de la procédure n’est envisagée par le législateur que dans trois hypothèses : l’absence totale de plan de sauvegarde, les irrégularités formelles lors de laconsultation du CE ou l’insuffisance manifeste des mesures contenues dans le plan. Hors l’un de ces cas, aucune nullité ne peut être prononcée.
Il n’appartient pas au juge, à ce stade, d’apprécier l’opportunité du plan et de se substituer à l’employeur dans la décision qu’il prend d’envisager la suppression d’emplois.
Cela ne signifie pas pour autant que CE et salariés soient totalement démunis face à des licenciements dont ils entendent contester la légitimité.
S’il est ainsi rappelé que le CE n’exerce pas le contrôle du motif économique, il doit être largement consulté sur le contenu du plan, les critères d’ordre, les mesures de reclassement et d’accompagnement. Il doit aussi émettre un avis sur le motif économique, lequel avis peut être différé dans l’attente du résultat d’une mesure d’expertise comptable. Il est évident à ce titre que le rapport d’expertise qui sera réalisé, s’il ne lie pas le juge et ne constitue qu’un élément d’information, sera précieux pour les salariés ayant engagé des procédures judiciaires. Avec cette réserve que depuis l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de Cassation le 8 décembre 2000, il est également admis qu’une telle expertise ne peu servir qu’à établir l’existence ou non d’un motif économique au sens de la loi, et pas à substituer l’avis du juge à celui de l’employeur sur la stratégie économique qu’il a adoptée.
En d’autres termes, dès lors que des difficultés économiques sont établies ou que pèse une menace sur la compétitivité nécessitant une restructuration, l’employeur est libre de choisir les mesures qu’il estime les plus appropriées, peu important que d’autres choix aient pu conduire à de moindres suppressions d’emplois.
Les salariés conservent naturellement le droit de contester leur licenciement devant les juridictions prud’homales. Il leur appartiendra de déterminer l’objet exact de leur contestation, puisque cela conditionnera le régime juridique et procédural applicable.
Le salarié peut en effet mettre en cause la régularité de la procédure, telle que le défaut de consultation du CE sur la rupture de son contrat de travail ou une notification prématurée de la rupture avant l’issue de ladite procédure de consultation. Il peut même agir en annulation du PSE au même titre que le CE. Une telle action est alors enfermée dans un délai de 12 mois à compter de la notification du licenciement, à la condition toutefois que ce délai soit expressément rappelé dans la lettre de notification.
Il peut aussi faire le choix de mettre en cause le motif économique lui même. C’est là que le débat sur les raisons réelle à l’origine du licenciement retrouvera toute sa place et que le salarié pourra le cas échéant utiliser le travail réalisé par le CE. Et à ce stade il est usuellement jugé que le licenciement reposant sur le seul but de réaliser des économies est privé de toute cause suffisamment réelle et sérieuse.
Il peut enfin reprocher à l’employeur de n’avoir pas suffisamment recherché son reclassement, lequel s’étend non seulement au périmètre de l’entreprise mais aussi au groupe auquel l’entreprise appartient. L’absence ou l’insuffisance d’une recherche loyale et sérieuse de reclassement privent en effet le licenciement de toute cause réelle et sérieuse. Cela produit les mêmes effets que si le licenciement n’avait aucun motif économique.
De telles actions, portant davantage sur le fond du droit, se prescrivent par 5 ans à compter de la notification du licenciement.
En l’état du droit du travail applicable, il s’agit là des seules sanctions possibles de licenciements dits « boursiers ». Les déclarations sont nombreuses, annonçant une pénalisation financière de ces licenciements... Il reste que sauf évidemment modification profonde de la législation, peu probable, la Cour de Cassation veille heureusement à ce que les juges n’outrepassent pas leurs prérogatives et ne s’immiscent pas de manière trop importante dans les choix économiques de l’entreprise, en dehors du contrôle qui leur appartient lors de la contestation individuelle des licenciements.
Article paru le 21 novembre 2012